Un jour de plus
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L'échéance a enfin été dépassée, celle posée par tous ceux qui nous ont précédés. De cet autre côté, au seuil de ces nouvelles heures qui s'offrent d'explorer, qu'y a-t-il donc à expérimenter ? S'i l'on fait le compte de tout ce qui a existé, ces lamentables échecs et ces brillants succès, qu'est-ce qui pourrait bien se rajouter ? Un énième label à collectionner ? Une pénultième aventure à tenter ? Et après ?
De cette maison où il s'est retranché, l'homme contemple la pendule sans rien attendre de plus que ce qui lui est donné. Toutes ces réflexions au sein desquelles il n'arrête pas de naviguer le ramènent au cœur même de la vie qu'il a choisi d'emprunter ; tous les choix qu'il a faits l'ont conduit en cette exacte journée, en cet instant où il se sent pieds et poings liés, incapable de savoir dans quelle direction continuer, et si même cela a un intérêt. Il ne s'agit pas pour lui de sortir et de se jeter sous les roues d'un poids lourd qui passerait, mais bien de comprendre quel sens il a encore à respirer. Si la vie qu'il a menée n'aboutit qu'à cet espace confiné, ces quatre murs qu'il scrute sans arrêt, à quoi bon s'échiner à se motiver, à se redynamiser, à se donner un nouvel objectif à transcender ? De son point de vue, l'homme a tout tenté, les rencontres, les voyages, les conquêtes et les naufrages, et son corps épuisé est là pour le lui signifier. Quel pourrait être maintenant le but vers lequel se focaliser qu'il n'a pas déjà dépassé ?
Admettre cela n'est pas prétendre pour l'homme qu'il est blasé, mais bien qu'il ne trouve plus matière à s'enthousiasmer de nouveautés qui ne sont plus pour lui que du réchauffé, du déjà-vu, du périmé. Il pourrait certes y avoir une valeur à montrer qu'il a tout connu, tout vu, pour s'en gargariser, s'en féliciter, être admiré et prospérer, mais cela ne remplirait pas ce vide qu'il ne réussit pas à combler. Il n'en peut plus de prétendre que la vie qu'il mène lui sied, alors qu'elle ne le conduit qu'à déprimer, que toutes ses victoires ont à présent un goût à une désagréable acidité dont il ne réussit plus à se débarrasser. Si les actions qu'il accomplit offrent parfois quelques étincelles d'un feu depuis longtemps étouffé, elles ne suffisent plus à le nourrir de la tête aux pieds, juste à repousser une échéance qu'il sait devoir arriver : passée cette joie éphémère, il va retomber dans ce marasme qu'il connaît, contre lequel il doit maintenant lutter pied à pied, pour se lever, pour sortir, pour se motiver, pour socialiser, pour prendre une part active dans la société.
De sa position de reclus étonné, l'homme ne sait plus ce qu'il doit ou peut tenter, s'il doit reconnaître qu'il s'est fourvoyé, que ses actions n'ont finalement conduit qu'à cette impasse de laquelle il ne réussit plus à s'extirper plus le temps passe, avec la sensation de s'y enfoncer. Ses tentatives pour tout revitaliser ne donnent pas les fruits escomptés, comme un boomerang qui lui reviendrait alors qu'il pensait avoir décollé pour une longue traversée. À cette heure, en cette journée, l'homme ne peut que reconnaître qu'il est totalement paumé, incapable d'une décision qui pourrait tout changer, du moins dans la perception qu'il a de ne plus être en capacité de se réinventer sans avoir la certitude qu'il ne s'agira pas encore de bégayer, de reproduire ce qu'il a déjà fait. Quelles que soient les efforts d'imagination déployés, les trésors d'invention improvisés, il ne ressort pas assez d'envie ni d'émotion pour persévérer, tant la lassitude devant de telles répétitions revient le hanter. Regarder le plafond, attendre le téléphone sonner, espérer une inspiration qui n'aurait pas déjà été dévoyée, tout cela s'amoncelle dans le gouffre de la passivité et fait ployer sous son poids toute possibilité de s'en émanciper, plus le temps passe et plus rien ne paraît se concrétiser.
Le plus surprenant pour l'homme est cependant que cela ne lui correspond pas, n'a rien à faire au cœur de l'énergie qu'il déploie, ne ressemble pas à ce qu'il a toujours été jusque-là, vivant, souriant, gourmand ; et pourtant, le voici écroulé sous les gravats de ses rêves fracassés, de ses envies oubliées, de ses espoirs envolés, tout ce qu'il n'aurait jamais imaginé : se retrouver piégé dans sa propre réalité, sans issue qui ne lui soit proposée. Même dans cette direction d'ailleurs, il n'a pas trouvé son bonheur, dans l'aide qu'il a sollicitée, dans les appels qu'il a tentés, dans les options qu'on lui a montrées ; à croire qu'il n'a plus d'autre choix de s'enterrer ou de régresser, comme si toutes les portes s'étaient refermées, que sa destinée n'avait plus d'élan ni de but vers lequel cheminer. À force de chercher de tous côtés, l'homme n'en peut plus de s'user à essayer de se réinventer, non pas dans une fuite pour nier qui il est, mais bien apprendre, progresser, grandir, partager, toutes ces choses qui se sont dissoutes sans qu'il n'ait compris comment cela est arrivé, tous ces possibles qui se sont dissipés, sans qu'il ait saisi pourquoi il ne réussit plus à s'en approcher.
De l'air du temps, des saisons qui ne cessent de s'enchaîner, l'homme ne voit plus passer qu'un long ruban terne et desséché sur lequel il n'inscrit plus la moindre empreinte comme il le faisait avant et qui chantait la vie rêvée. Il n'est plus aujourd'hui qu'une enveloppe vide au sein de laquelle résonne le bruit du vent des souvenirs d’années passées, torture abrutissante contre laquelle il n'a plus la force de lutter, exsangue d'élan et d'idées pour nourrir cette lumière en train de s'étioler ; alors ne plus rien faire, s'abrutir d'images et de sons saturés, pour surtout, surtout d'éviter de penser et de se demander quelle malédiction a bien pu être jetée pour conduire à cette interruption dans l'envie d'exister. L'homme a le sentiment d'être prisonnier de sa liberté, forçat volontaire qui trace une route que lui n'aurait pas empruntée.
Les yeux dans le vague, l'homme ne sait plus s'il vit ou s'il divague, bringuebalé d'un côté à l'autre de sa raison et de ses émotions. Le jour passe, et rien ne bouge, comme figé dans la glace, instant immobile où l'on se contente de regarder les trains qui passent, tandis que la majorité s'agite de tous côtés, ce qui, pour l'homme, est un supplice de plus à traverser.
Et s'il n'était parfois rien d'autre à attendre que d'être là ? Non pas acteur au centre de la vie qui va, mais spectateur qui n'a pas de rôle pour une fois ? De la rage de sentir son sang bouillonner, de la vigueur d'agir et de créer, autoriser que le silence vienne s'installer, pour enfin faire naître ce qui, jusque-là, ne pouvait pas exister.
Et enfin se reconnecter à qui l'on est.
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