Translation
Marcher, marcher, encore avancer ; voir sur ce chemin comme une quête qui n'est pas prête de s'arrêter. L'on n’est pas seul cependant, mais personne d'autre ne fera bouger nos propres pieds.
Ce n'est pas que le paysage soit désagréable, pour tout avouer. Les surprises sont belles parfois, et les rencontres inespérées, mais l'impossibilité offerte de simplement se poser rend cette progression plus proche d'une épreuve à traverser que d'un voyage pour se ressourcer.
Si l'on prend le temps de parfois observer, il semble que ce ne soit que pour mieux se jauger, comparer, voir où en sont les différents protagonistes qui ont accepté de cheminer à nos côtés. Celui-là paraît avoir une besace bien achalandée, celui plus loin impose un rythme que l'on a du mal accepter, et cet autre n'a pas l'air de savoir exactement ce qu'il fait, avec nous au milieu de tout ce beau monde, ni plus ni moins qu'en presque passager.
Depuis le temps que l'on ne cesse d'avancer, il en devient de plus en plus difficile de discerner de ce que sont les souvenirs de la réalité ; non pas que l'on a perdu la tête, mais bien que le présent ressemble de plus en plus à ce que l'on a connu depuis que l'on a choisi de naître. Après tout ce parcours déjà effectué, l'attrait de la nouveauté devient de plus en plus difficile à discerner. Chaque nouvelle découverte ne devient plus que l'écho d'une mémoire que l'on a intégrée. Chaque proposition d'aventure à tenter ne constitue plus que le renouvellement d'un acte que l'on connaît.
Alors, finalement, ne plus réfléchir et se contenter de continuer est parfois la solution, afin de ne pas se casser la tête à essayer de s'apaiser. La masse d'expériences, la foultitude de romances, le nombre incalculable d'apprentissages jusqu'à la démence, tout cela occupe un volume indécent, immense dans notre crâne, ne laissant presque plus de place à la conscience. Le combat ne devient ainsi plus qu'intérieur, de ne pas offrir l'opportunité à toutes ces cogitations de figer notre cœur. Et il ne s'agit en aucun cas d'une coquetterie, au contraire, mais de la nécessité vitale de ne plus chercher un sens à notre vie, comme une translation d'un point A vers un point B, mais bien d'une évolution à la simple mécanique de nos pieds.
Un tel constat n'aide cependant en rien l'élan de nos pas, tant cette vacuité ainsi admise ne renvoie qu'à notre place absurde dans l'éternité, inutile, futile, sans intérêt, pour nous qui avions l'ambition de concevoir un univers par la puissance de notre intelligence caractérisée ; mais voilà qu'à la première émotion, à la moindre intense question sur notre condition, au plus petit doute quant à notre direction, nous sommes renvoyés sans cesse à ce que nous sommes en réalité : des enfants qui ne comprennent rien à ce qui est en train de se jouer. Non pas que le potentiel d'un bambin soit par définition limité, non point, mais bien que nous avons perdu cette innocence, cette curiosité qui nous offre de voir le monde tel qu'il est, au lieu d'être tel qu'on le voudrait. On pourrait certes, tel un sale gosse frustré, se rouler par terre et pleurer, dans l'espoir absurde que cette attitude nous donnera tout ce à quoi l'on avait aspiré et qui nous paraît interdit d'accès, pour des raisons que l'on peine à considérer ; mais un tel comportement ne nous conduirait qu'à nous retrouver seul, hirsute de colère et de ressentiment, sans plus de solution pour pallier notre frustration. Ne demeure donc plus que cette marche en avant, contre la vie, contre le temps, avec l'espoir que nous sera donné un peu de cette grâce qui nous manque tant.
Une foulée, puis la suivante, tout ce qu'il reste à considérer. Il n'y a rien à prendre, rien à garder, tant ce poids nous alourdirait au point de nous blesser. Il ne s'agit pas de tout refuser, tout jeter, mais bien de se nourrir ce qui nous est donné, partagé, pour le transformer à notre manière, sans chercher à se l'approprier, tant cette ambition ne sera que vanité. Le temps de cette transhumance nous est compté non comme une punition ni une limitation, mais ainsi qu'un point de repère dans ce qui n'est pas une linéarité, plutôt les vagues d'une immense marée, avec nous en frêle esquif toujours sur le point de chavirer. Rester à flots, ne pas sombrer, contempler le soleil se lever et se coucher devrait suffire à nous occuper, mais non, il nous faut connaître les quotients de marées, les profondeurs surmontées, les latitudes et longitudes traversées, comme si ces informations allaient nous aider à réaliser, à accepter la fragilité de notre condition. Nous ne sommes pas faibles cependant, loin de là, juste avec une violente propension à détruire tout ce qui est offert ici-bas, comme le moindre objet ne devait appartenir à personne d'autre que soi, en une possession guerrière qui légitimerait ce pour quoi on est là : empirer, stocker, sédimenter – au lieu de partager, offrir et diffuser.
Cette marche est pourtant simple de compréhension : retrouver ses connexions à soi, à ses perceptions, pour se rendre compte que le monde entier est au creux de nos pulsations, en un rythme qui répond à l'unisson. Les paysages, les visages ne sont que des distractions ou des miroirs pour nous renvoyer à notre condition : celle d'un voyageur pétri d'émotions. L'intellect ne nous sert à rien en réalité, qu'à nous égarer dans notre soi-disant supériorité, alors que la première douleur va nous faire pleurer. La destination n'est pas l'objet, mais un horizon qui ne sera jamais révélé, présente pour offrir un espace de liberté, quand l'exploration est en train de s'accomplir entre notre tête et nos pieds. Il faut pourtant croire qu'il est besoin de tout ce tracé pour avoir la chance de comprendre, une journée, au détour d'une falaise ou à l'orée d'une forêt, que nous sommes le plus grand mystère qui demande à être révélé ; et non pas ces océans insondés, ces routes entremêlées, ces cieux illimités. Nous ne sommes pas une partie de l'Univers, en vérité, mais l'origine de ce rayonnement que nous persistons à chercher. Le sens de notre histoire n'est pas de prouver ce que l'on a fait, mais bien de montrer qui l'on est : humain et dieu mélangés, non pour s'en gargariser, mais enfin l'accepter, sans forfanterie ni fausse humilité. Juste pour se rappeler que nous avons le droit de vivre en toute simplicité, au lieu de chercher à tout prix à exister – et alors nous trouverons la paix.
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