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Photo du rédacteurLaurent Hellot

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Tourner la page - www.laurenthellot.fr

Dans les rayons du soleil qui se lève à présent volent et se dispersent les poussières qui demeuraient invisibles tout ce temps, révélées par la danse de ces traits de feu qui animent la pièce où je me tiens, attentif et curieux. Les apercevoir enfin n'est pas une surprise en soi, mais ouvre au soulagement que plus rien ne sera comme avant, que tout ce qui est caché ne pourra plus se tapir dans les renfoncements, que la vérité fait dorénavant partie du présent.

Si quelques nuages gris oblitèrent encore parfois cette lumière, la puissance de sa chaleur vaporise de plus en plus ces voiles délétères, les dispersant dans l'atmosphère, en écho de ces grains de matières qui volètent encore dans la pièce où je me tiens maintenant. Observer le ballet de ces ombres et de ce ciel clair me rappelle qu'un temps, j'ai eu moi aussi cette envie de m'évader dans les airs pour ne plus revenir sur cette Terre, avec cette pulsion de m'enfuir de cet enfermement permanent.

D'un mouvement fluide mais prudent, je me décide à me lever de ce fauteuil qui parle de mes morts-vivants, ces générations qui m'ont précédé jusqu'à cet instant et sur lesquelles je me suis construit sans questionnement, ni intéressé ni redevable de tous ces enterrements qui ont fondé l'humus sur lequel je marche maintenant et m'offre de planter les graines qui vont transformer ma vie, complètement.

À contempler les souvenirs qui transitent dans ma tête à tout instant, je prends conscience de tout ce que j'ai dépassé dans ma quête d'identité, où vivre n'était pas le sujet, mais bien exister, sans plus devoir à qui que ce soit le droit de me sentir triste ou de faire la fête, selon les déferlements d'amour et de haine que je portais dans mon sang. La litanie de ces guerres et de ces paix incrémentées pourraient donner le tournis, si je n'avais depuis longtemps compris où était ma place à présent, non plus dans cet héritage étouffant, mais dans l'obsession de comprendre le sens de mon cheminement.

La révélation actuelle de toutes ces scories qui encombraient l'air que je respirais, l'oxygène qu'il me fallait amène à un sourire sur mon visage fatigué. Il n'est cette fois plus question de suffoquer sans saisir la raison de mon incapacité à me régénérer, devant la masse de pollution au sein de laquelle je m'efforçais d'évoluer, bridé autant qu’asphyxié par cet atmosphère vicié.

Après quelques pas pour m'habituer, je remarque à quel point j'étais bridé de tous côtés, avançant dans une mélasse visible de granulés s'agglutinant autour de mes poumons oppressés. Il n'est cependant plus de peur dans mes sentiments, puisque je sais que je vois enfin mon héritage tel qu'il est : d'une effarante toxicité dont je n'avais pas pris la mesure jusqu'à cette journée. Sa nocivité et sa pesanteur sont cependant à l 'aune de mes capacités : hors normes, pour avoir ainsi réussi à avancer en dépit de ce monstre protéiforme qui cherchait à m'étouffer.

Au dehors de cette vitre vers laquelle je ne cesse de progresser, les brumes et les brouillards ont fini de se dissiper, laissant rayonner la beauté et l'espoir d'un soleil en majesté. D'un coup d’œil sur l'environnement que je m'apprête à quitter, je remercie la cohorte de ces aïeuls qui m'ont nourri autant que vampirisé ; il ne s'agit pas de renier la famille même au sein de laquelle je me suis incarné, mais ne garder que les connaissances et les richesses que je pourrai avec joie partager, non plus tenu par des promesses et des serments des siècles passés.

La main sur la poignée, je m'apprête à partir sans plus me retourner, abandonnant derrière moi les peurs et les regrets de tout ce qui m'a été enlevé, d'espoirs et de possibilités, parce qu'il s'agissait avant tout de porter cette armure qui m'étouffait, ne protégeant plus des blessures, mais entravant toutes mes capacités, pour que je ne puisse surtout pas entendre ce que le vent murmure, messages cachés par les grincements de cet effrayant poids à porter.

Et puis vient ce moment qui n'aurait jamais pu exister, si la lumière mêlée à la conscience n'avait pas permis d'ouvrir les yeux sur ce qui se jouait : un asservissement perpétuel dont j'étais le jouet, volontaire qui s'étonnait de n'avoir d'à trier des poubelles pendant que d'autres s'amusaient, en une provocation gratuite faite pour blesser et humilier ; mais il n'est plus possible ce jour d'enfouir à nouveau ce qui a été révélé : ce désir profond, juste et joyeux de liberté.

D'un pas ferme et décidé, je franchis cette porte sans plus me retourner, délaissant ces vieux objets, ces toiles d'araignées, ces poussières qui faisaient de ma vie un enfer, sans que je puisse saisir de quelle manière m'en débarrasser. Levant les yeux vers les nuées, je crie sans retenue ma jubilation d'avoir franchi ce cap innomé, celui par lequel je peux enfin vivre la vie que je rêvais, par la grâce du courage, de la force et de l'obstination qui ne m'ont jamais quitté.

Je sens la douceur de cette chaleur qui se met à m'envelopper, je perçois la légèreté de l'air qui irrigue le sang qui vient me revitaliser, je touche le chemin accueillant que je peux enfin fouler. Derrière moi, je sais que la guerre continue entre toutes ces générations qui refusent d'évoluer, s'attachent à distiller le poison qui pourrit toutes leurs lignées, mais cela ne me concerne plus, car aujourd’hui, j'ai tranché tous ces liens toxiques qui m'entravaient et dont toute cette horde profitait sans retenue depuis que je suis né.

J'aperçois au loin les prémices de ce vers quoi je m'apprête à aller, cet apaisement, cette confiance et cette sérénité, entouré de mes amis, mes enfants que je peux enfin accompagner avec toute la puissance que j'ai finalement retrouvée, onde immense et cathartique que je sens vibrer de la tête aux pieds. Le monde n'est plus cette jungle au sein de laquelle je perdais pieds, mais ce paradis que je reconnais, parce qu'il a toujours été en moi et ne m'a jamais quitté.

Et tandis que j'avance sur cette route que j'explore dans la paix retrouvée, je me remercie de ne jamais avoir baissé les bras, d'avoir su surmonter toutes ces épreuves, ces obstacles qui se dressaient devant moi, avec la certitude que j'étais bien le héros que je croyais, celui qui n'abdique pas devant l'adversité, celle prévisible qu'il rencontre certes, mais aussi celle qui l'empoisonnait depuis qu'il est né, et je m'offre ainsi le plus beau cadeau que je puisse imaginer :

le droit de m'aimer.


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