Isolation
Il ne fait pas de doute qu'il faudra continuer seul sa route, en dépit des rencontres, en dépit de ce que l'on nous montre, de supposée fraternité et de liens immortalisés. Les derniers événements ont acté ce fait douloureusement, par une gifle magistrale qui fait exploser notre idéal d'entraide et d'entregent, où les uniques retours obtenus ont été de se retrouver abandonné et nu.
Il n'y a pas à proprement parler de tristesse, dans ce constat où s'est dissoute toute joie, toute liesse, la simple évidence que l'on n'en a pas encore fini avec la souffrance. Ce fait n'est pas pour nous surprendre, après tout ce que l'on a traversé, pis que pendre, mais la persistance de ce hiatus dans notre existence amène à se poser la question de sa pérennité. Il ne serait en effet être considéré comme normal le fait de pleurer sans arrêt.
Ce constat lassant, de n'avoir que soi pour confident ne réjouit pas plus que cela, ainsi qu'un perpétuel questionnement de savoir pourquoi l'on se propose cela, de ne pas être en capacité de s'ouvrir à la fluidité, sans plus de drame ni de coups à parer, dans un combat qui semble ne jamais cesser, contre le monde entier et soi-même en particulier, éternel recommencement dont nous ne voyons pas l'intérêt.
Posés au bord d'une route, celle qui mène à nos peurs et nos doutes, nous ne voyons plus dans le paysage que déroute et guerre, débris et enfer ; non pas que cela soit effrayant, puisqu'il s'agit de notre quotidien depuis si longtemps. La quête d'un peu de répit, à tout le moins d'un secours ami nous a occupés suffisamment, pour n'aboutir qu'à cet état d'épuisement.
Quel que soit le côté vers où l'on regarde, ne se dressent que fossés et palissades, chacun bien trop occupé à préserver son petit bonheur privé, que de se préoccuper d'éventuels camarades. Il n'est rien à leur reprocher pourtant, de vouloir garder au plus prêt toutes les richesses qu'ils ont accumulées, pour en profiter après le dur labeur pour se les accaparer ; si ce n'est que cela hérisse le monde de prisons dorées.
La part de jalousie et d'envie qui monte en nous n'est pas le fruit d'une volonté de dépouiller ceux que nous jugeons auréolés de succès, mais bien d'une incompréhension manifeste du fait que nous sommes passés complètement à côté, sans saisir comment et en quoi nous aurions fauté. Le sentiment d'injustice qui se distille dans nos idées devient pourtant de plus en plus difficile à canaliser.
De cette posture délétère, entre frustration et colère, il ne sort rien de bon, que ce pour avancer ou pour reculer, afin de ne pas rester coincé dans cette position sans intérêt. Il ne nous sera rien apporté de juger et de critiquer tout ce qui passe à notre portée et dont nous aurions aussi eu envie de bénéficier. La problématique que cela met en lumière est surtout d'encore trouver l'énergie de persévérer.
De tout ce temps écoulé, de tous ces espoirs envolés, il importe maintenant d'en faire jaillir une décision, une idée, afin de continuer d'avancer dans cette vie, sans plus tergiverser, que ce soit de déception, de lamentation ou de violence rentrée. Acter l'abandon et l'ignorance de qui l'on est, de nos besoins, de nos liens par ceux que l'on croyait proches, au point de tout leur confier devient une nécessité.
Revenir à qui l'on est demeure ainsi la manière la plus naturelle pour ne pas dériver dans des incantations radicales ou cruelles qu'on laisserait exploser, qu'enfin ces amis, ces parents, entendent ce que l'on a sur le cœur, dont les battements ne font plus que réveiller la douleur de ces trahisons, le déchirement des émotions, la persistance de malédictions, mélange de vérités et d'incantations.
Au lieu de constater ce qui a échoué, nous serions plus avisés de revenir à ce qui nous fait vibrer, rire et rêver, dans un sain examen de notre être en totalité, ni excessifs ni torturés, mais bienveillants et apaisés. Il ne s'agit pas de nier la dureté de ce que nous avons traversé, mais de s'en inspirer pour ne garder que la lumière qui se faufilait dans l’obscurité où nous nous sentions sombrer.
Il est temps de délaisser la vindicte et les regrets, non pas dans une faiblesse de ne pas avoir l'énergie de se venger, mais bien pour la grâce de ne pas porter le fardeau de la médiocrité de l'estime qu'il nous resterait à sauver. Si la satisfaction de détruire ce à quoi l'on n'a pas accès est aisée, elle ne nous servira pas à grand-chose, quand nous nous retrouverons au milieu des cendres du brasier qui nous a consumés.
Référencer nos échecs, nos errances et nos rêves brisés ne donnera pas plus accès à cette route que nous pensions emprunter, à même de nous conduire vers la félicité. Le bonheur des autres, quel qu'il soit, y compris s'il nous paraît dévoyé, ne doit pas dicter notre conduite pour nous aussi y accéder, mais au contraire offrir l'occasion de les féliciter, à charge pour eux d'assumer.
Une fois ce poids évacué, nous pourrons alors commencer à reconsidérer la façon dont nous avons jusqu'ici avancé, peut-être une peu extrême et sans possibilité de discuter, là où pourtant, personne ne peut s'estimer parfait, nous en premier. L'exigence intense que nous avons mise dans tout ce que nous avons planifié n'offrait que peu de marge à l'autre pour nous y accompagner, le contraignant à rester de son côté.
Quand nous aurons enfin compris qu'il n'y a rien de grave à ce que chacun suive un chemin séparé, que la vie nous propose parfois des rencontres qui n'ont aussi pas vocation à durer, il n'y aura plus lieu de nous énerver d'une trahison ou d'une faiblesse supposée de ceux sur lesquels on comptait et qui se sont révélés incapables de répondre aux attentes hors norme que l'on posait.
Ce constat parfaitement intégré, nous pourrons apprendre alors combien la plus difficile des actions n'est pas de tomber, et de se relever ; de se blesser, et de se réparer ; de se perdre, et de se retrouver ; de hurler, et de s'apaiser ; de souffrir, et de se soigner ; de dormir, et de se réveiller ;
mais de grandir, et de pardonner.
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