Installation
L'arbre qui se dresse à cet endroit reste stoïque et ne moufte pas, ne s'aventurant même pas à déverser ses feuilles sur la petite fille qui s'agite autour de son tronc droit. Il la laisse faire ce qu'elle a imaginé, que ce soit un inventaire ou un vaisseau à explorer, somme toute aussi curieux de ce qu'elle va bien pouvoir établir en ce lieu. Il faut dire que cela se joue au beau milieu d'une forêt, non loin de trous d'eau disséminés. Que la petite fille soit parvenue jusqu'à lui est déjà une incongruité, mais qu'en plus, elle ait jeté son dévolu ici, alors qu'il y a pléthore de ses congénères de tous les côtés ne manque pas de l'intriguer.
Absorbée par ses intenses activités, la petite fille, elle, ne cherche même pas à savoir si elle importune et devrait demander l'autorisation de s'installer, tant elle a en tête mille et un projets. Le temps lui est en effet compté, avant que ses parents ne se demandent où elle a bien pu filer. Non pas qu'elle veuille leur échapper, mais cela fait plusieurs semaines qu'elle a repéré cet arbre, tandis qu'ils passaient en voiture avant de rentrer dans leur maison juste à côté. Alors elle s'emploie à s'activer pour faire au mieux avec cette liberté gagnée, d'autant qu'elle fourmille de projets, à présent qu'elle a réussi un zeste à s'émanciper.
Dans les futaies où elle est posée, la petite fille a trouvé le nid parfait : un bosquet d'arbres avec un plus grand sur le côté, une trouée dans la canopée par où les rayons de soleil peuvent s'infiltrer, quelques petites mares ça et là disséminées ; le terrain de jeux qu'il lui fallait pour constituer le repaire qu'elle a toujours voulu créer. Non pas que sa chambre ne lui convienne pas telle qu'elle est, avec ses rideaux colorés, sa baie vitrée, son lit superposé et ses tonnes de jouets, mais cela ne lui appartient pas tout à fait, sorte de musée idéal pour enfant parfait, ce qu'elle sait être quand cela lui est demandé, mais qu'aujourd'hui elle a envie de délaisser pour offrir libre cours à ce qu'elle désire inventer : son lieu secret.
Quand elle a compris qu'elle pouvait avoir un endroit qui lui ressemble, à la hauteur de ses rêves et de ses désirs ensemble, elle n'a pas hésité longtemps et a pris la clé des champs ; à présent qu'elle se trouve là où elle le voulait, elle en serait presque surexcitée d'avoir enfin accès à cette liberté, comme la première bouffée d'oxygène après une plongée, intense, puissante et inespérée. De voir combien le terrain de jeux qu'elle s'est choisi surpasse tout ce que, jusqu'à présent, elle s'était permis, lui donne l'impulsion de s'autoriser toutes les inventions, de la plus basique à la plus magique ; et elle n'est pas encore sûre de ce par quoi elle veut commencer.
Contemplant son repaire dans la totalité, la petite fille ne se sent plus hésiter : elle sait qu'elle va se construire aujourd'hui la cabane dont elle a toujours rêvé. Ce ne sera certes pas celle par laquelle on accède avec une échelle, mais bien la sienne, unique et belle, que personne d'autre ne pourra trouver, à part si on y est invité. Et voilà pourquoi il lui fallait ces arbres regroupés, avec celui au milieu qui servira de pilier, en point de repère contre lequel se reposer. Il ne reste plus qu'à décider de quelle manière tout ceci va se constituer, entre improvisation et chantier, dans l'euphorie de la créativité, en pleine effervescence d'être la seule à décider, sans qui que ce soit pour la brider ou lui dire que c'est l'heure d'aller de coucher.
Examinant ce qui l'entoure, la petite fille repère assez vite ce qui lui servira à la fois de poutre et d'abat-jour, une longue branche qu'elle s'empresse d'aller attraper pour la tirer sans ménagement, la lever et la ficher entre les basses branches de son futur campement. Se reculant ensuite de quelques pas, elle contemple ce qui sera l'ossature de son futur chez soi, non sans réfléchir déjà à ce que sera la prochaine étape de cela. Retournant d'ailleurs aussitôt sur ses pas, elle va vers un sapin au pied duquel elle récupère branchages et pommes de pin, dans une série d'aller-retour comme pour faire les courses du jour. Et munie de tout son butin, elle se met à le répartir de part et d'autre de ce long bout de bois qu'elle a défini ainsi que la base de son dessein, en un toit qui sera fait d'aiguilles de pin et servira à délimiter son intérieur protégé et serein.
Cette première étape franchie, la petite fille se détend et sourit, voyant comment se concrétisent avec efficacité ses envies. Elle peut à présent se concentrer sur l'intérieur de son nouveau campement, en parfaite fée du logis qui a trouvé son refuge joli. Et qu'elle balaie les mousses et les feuilles, et qu'elle s'attache à répartir les espaces, entre salon, chambre et accueil. Rapportant une vieille souche avec effort, elle choisit d'en faire sa table pour avoir tout le confort, la poussant au centre de son repaire et y posant déjà quelques affaires, un joli caillou déniché dans un trou, un champignon mignon, ainsi que les pommes de pin qu'elle dispose en rond. Et dans son élan ménager, elle arrange le sol pour que ce ne soit plus le désordre de la forêt, mais bien le lieu au sein duquel elle peut se sentir apaisée, aussi fière de tout le travail qu'elle a fait.
Satisfaite de sa réalisation, la petite fille regarde à présent ses mains et ses doigts tout marron, avec consternation. Dans un souci ultime de présentation, elle part cette fois en direction de la petite mare qu'elle a aperçue juste au fond, pour se laver et pouvoir ainsi rentrer sans attirer l'attention à la maison. Arrivée devant, elle se baisse et plonge ses mains en plein dedans, soucieuse de faire le plus d'éclaboussures, parce que cela projette des éclats étincelants à tout vent. Si ce vacarme et cette joie ont le mérite de la défouler après tout le travail qu'elle a réalisé, elle ne s'attendait certes pas à ce qu'une explosion de couleurs s'en vienne soudain la confronter : dérangé par la demoiselle excitée, un martin-pêcheur a en effet décollé son perchoir où il était posé. Dans un vol pulsant et alambiqué, il part se réfugier dans le trou d'un talus où il a choisi de nicher.
À cette vue, la petite fille ne peut que s'extasier, d'avoir un tel voisin à l'exceptionnelle beauté, dont elle n'avait même pas perçu la proximité. Elle décide alors de s'assoir pour attendre que l'oiseau sorte de son terroir et qu'elle puisse l'apercevoir de nouveau, ce que ce dernier accomplit d'ailleurs, se repositionnant aussitôt, non pas au-dessus de l'eau, mais au sommet de la cabane, en parfait ornement de cet édifice nouveau. C'est d'ailleurs l'instant que choisit le soleil pour faire jaillir un rayon qui rebondit sur ces ailes, transformant l'oiseau en véritable arc-en-ciel, au plus grand ébahissement de la petite fille, qui en oublie ses pensées et le temps de rentrer, découvrant par la grâce de cette rencontre inespérée que
la beauté jaillit de ce que l'on crée.
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