Glacial
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Le vent qui souffle ne semble pas prêt de s'arrêter, invité intempestif n'ayant aucune envie de s'éloigner de ce paysage dont il a pris possession sans gêne ni regret. Ses rafales intenses et leur virulence sèment une panique complète dans les champs et les forêts, imposant une retraite pour quiconque entend ne pas mourir gelé.
En ce milieu d'hiver, en ces courtes journées, le monde semble prêt à se replier sur lui-même, au point de se terrer et de ne plus manifester la moindre envie de sortir ni d'explorer. La faible lumière et la nuit allongée n'offrent qu'un court répit à ceux qui osent encore tenter de vivre comme si rien n'avait changé. Il n'est plus question d'insouciance ni de légèreté, mais au contraire de se préserver et de rester enfermé.
Dans ce climat glacial et ces journées d'immobilité, le rythme général est à l'inventaire et à la sécurité, pour ne surtout pas donner prise à un quelconque risque ou danger de se trouver pris dans la tourmente des frimas que la saison a invitée. Chacun et chacune a choisi de rester confiné dans ce qui devient une nouvelle routine dont la mise en place est une nécessité, afin de ne pas s'exposer à une situation contre laquelle il n'est aucune chance de lutter.
La succession des nuages poussés par ce zéphyr à l'énergie surdimensionnée dessine dans le ciel une course à l'issue non imaginée, participants d'un parcours qui ne conduit que vers un ailleurs frigorifié. Oiseaux et autres volatiles émancipés demeurent tapis au creux de leurs nichés, surtout prudents de ne pas s'exposer à cette bise qui met leur subsistance en danger. Habitants d'un environnement qu'ils ont appris à respecter, ils ne s'aventurent pas à mettre en jeu les bases de leur pérennité.
Face à ce climat qui rappelle qu'une pause est imposée, il est pourtant quelques inconscients qui s'obstinent à braver le danger ; certes couverts de la tête aux pieds, ils osent sortir dans cet air qui brûlent leurs poumons, au point de les recroqueviller et ignorent les signaux vitaux que leurs corps hurlent de tous côtés, en un appel à la raison, au lieu de cette inconscience patentée. Il ne sera que peu de temps avant que la dure réalité ne rattrape ces imprudents et ne les contraignent à revenir sur leur première idée, vaincus par un adversaire qui les dépasse et menace de les emporter.
La radicale baisse des températures qui ont dramatiquement diminué rappelle alentour que rien ne peut être acquis, au point de ne plus jamais changer. Cette folle variation qui montre combien le présent seul est le maître incontesté crée soudain une toute nouvelle réalité, où ne peut plus exister que le silence et le calme de tous côtés. Quoi qu'il se crée, cela ne pourra qu'être ponctuel et passager, avant que ne se manifeste une éventuelle remontée de ce thermomètre dont les chiffres donnent le frisson à quiconque prend le temps de les contempler.
La survenue de cet hiver n'est certes pas une nouveauté, et cependant, il semble que cela soit une redécouverte de tous les instants, sorte de rituel émerveillement face à la puissance des éléments. L'insouciance des mois passés a eu l'air de donner un blanc-seing pour tout s'autoriser et se promettre que cela va durer, à l'inverse de tout ce qui a déjà été expérimenté ; il faut croire qu'il est plus simple de s'illusionner face à ce à quoi l'on n'a pas de se confronter, plutôt que de reconnaître que l'on doit s'adapter. Le retour à l'évidente constatation et à l'implacable fatalité de ce froid dont la rudesse avait été oubliée manifeste combien il est vital de se rappeler notre fragilité face à l'intangible constat que notre place est de celle qu'il convient de préserver, avec humilité et respect.
Au sein de cet espace où ne règnent plus que l'attente et la prudence, les quelques rayons de soleil ne réussissent pas à réchauffer l'atmosphère ni les sens. Si la brève survenance de ces éclats de lumière offre un répit qui permet de voir clair, ils ne demeurent pas assez longtemps pour faire monter la température de l'air, tout juste mettre à jour les recoins cachés que le gel aurait préservés, pour donner l'illusion que la vie n'est pas en totalité à l'arrêt. Les ombres qui apparaissent de part et d'autre du fait de ce nouvel invité dessinent sur la glace des étangs et des mares congelés d'étranges et magnifiques reflets, mettant en relief un monde de grâce et de légèreté, pendant d'une intransigeante beauté.
Les perspectives qui se dessinent dans ce paysage tout nouvellement sculpté dévoilent un environnement qui, jusque-là, ne pouvait pas exister, dédale de cristaux et de givres qui décore chaque arbre, chaque rocher d'une parure tout en grâce et en légèreté. Si cheminer parmi ce décor de conte de fées émerveille de variété et d'inventivité, il n'est malgré tout pas encore l'heure de s'y confronter, comme si ces trésors que le froid offre en toute liberté ne devaient être réservés qu'à quelques privilégiés qui n'avaient pas encore été désignés, téméraires élus que personne ne connaissait, et que certaines beautés ne peuvent exister que dans l'anonymat de leur créativité.
La persistance de ces jours de gel et de bise cumulés n'est pas en soi la brutale sanction imposée à ceux qui auraient eu l'insouciance de ne pas l'anticiper. La récurrence de cet épisode hivernal qui oblige à ne plus bouger, à revenir à cet intérieur que l'on avait oublié offre la chance de se reconstruire et de se ressourcer, pour une fois de ne plus courir de tous côtés sans conscience de ce que l'on était en train d'inventer. Il ne devient soudain plus besoin de prétendre que rien ne peut nous arrêter, que la frénésie qui nous habite est le seul moteur qui vaut la peine de nous faire avancer. Cette pause qui nous contraint au départ est pourtant la nécessaire manière qu'il nous est donné pour mettre un frein à cette éreintante course dont le sens est oublié.
Tandis que le vent continue de souffler, que le gel dessine des arabesques sur le sol figé, que le froid laisse tout dans une complète immobilité, il est temps pour tous de goûter à ce que l'on avait mis de côté : un retour à soi, pour se retrouver.
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