Dans le lit
La nuit est tombée, mais les yeux ne veulent pas se fermer.
Le soleil s’est caché, mais les bruits du jour continuent de monter.
Le calme s’est installé, mais les pensées ne cessent de fuser de tous les côtés.
Dans le creux de cette chambre, il n’est aucune place pour la sérénité, encombrée de ce que l’on ne peut pas entendre et de ce que l’on devrait écouter. Malgré la fatigue installée, malgré la nécessité de récupérer, il est impossible de laisser aller ce qui devrait s’écouler, les soucis qui ne font que passer, les doutes qui vont se dissiper, les interrogations dont la solution va arriver, par le simple écoulement du temps, par la nuit qui va tout emporter, par le souffle du vent qui va dissiper les brumes d’angoisses enkystées.
Dans le milieu de cet antre qui devrait se sanctuariser, il semble qu’un pillage soit systématisé, des espoirs et des rêves, du repos et de la paix. Les draps, les oreillers ne sont plus des accessoires pour accompagner la torpeur annoncée, mais des encombrants qui doivent être évacués, gêneurs incontournables qui prennent soudain une place que l’on n’avait pas imaginée, oppressants, déstabilisants, insupportables et inadaptés pour calmer ces tourments qui se sont invités.
Dans l’isolement de ce sanctuaire, les rituels ne sont plus d’aucune utilité, rites et pratiques qui paraissent surannés devant l’ennemi insidieux qui s’est imposé. Cet inattendu combat n’est pourtant pas de celui que l’on s’attendait à mener, injuste, intrigant, inexpliqué, nous laissant transpirant et pantelant, alors que l’on ne souhaitait que se reposer, se régénérer avant de reprendre la course pour le jour suivant, frais et disposé, ce dont ces premiers instants n’offrent en aucun cas la possibilité de bénéficier.
Seul dans ce noir palpitant, il devient embarrassant de réaliser que l’on est dépourvu de solution pour ce qui devrait se présenter avec naturel et délectation : l’insouciance méritée, le droit de ne plus s’inquiéter, après ces heures intenses d’agitation et d’activités. Au contraire de cette projection, ne se montrent que le stress et le besoin d’être rassuré, comme un petit enfant qui aurait entendu un bruit qu’il ne saurait s’expliquer, échafaudant des possibilités de monstres et de fantômes prêts à déferler.
Seul face à cette incapacité à lâcher prise sereinement, l’on se met à douter de ses capacités, à revivre le film qui a conduit à cette absurdité, le fait de ne plus se rappeler que vivre consiste aussi en l’autorisation de sombrer dans le néant, pour s’en aller vers d’autres rêves que l’on ne pourrait atteindre autrement, par les songes, par les voyages vers le firmament. Se retrouver dans cette posture humiliante ne fait que rajouter à cet état de fait inconvenant, à la frustration de ne pas accéder à ce qui est naturellement évident.
Seul dans cette confusion qui défie l’entendement, l’on ne peut que reconnaître que l’on ne réussit pas à faire autrement, que sentir monter la rage et l’énervement, tourments intérieurs qui s’en vont ravager le peu de chance qu’il restait d’aboutir à un relâchement. Dans un maelstrom qui emporte tout ce qui aurait pu servir cet endormissement, les déferlantes de colères et d’incompréhension ruinent toutes les tentatives de revenir à la raison, marée incessante qui ne paraît pas connaître de stabilisation.
Alors il ne reste plus que se battre avec ce que l’on a créé, cette insatisfaction contre notre fragilité, ce flux surabondant d’émotions qui débordent à présent tout ce qui l’on aurait pu mettre en place pour revenir à l’apaisement, l’abandon, et qui, d’un coup est emporté sans que l’on en saisisse la justification. La bataille qui se joue ne répond à aucune des règles qui aurait le mérite d’indiquer une éventuelle transition dans ce passage qui confine à une prison.
Alors il ne reste plus qu’à écouter cet intellect en fusion, mélange de sage et de démon, qui semble avoir choisi l’ébullition, au risque de faire exploser sans préavis le peu qu’il reste de raison. La cohérence n’est même plus de la partie, les pensées et les idées fusant sans interruption, feux d’artifice dont le boucan doit s’entendre jusque dans d’autres dimensions, celles où errent tous ceux qui ont aussi pris le parti de plonger dans ce même chaudron : celui d’une potion indigeste, à vomir ses tripes de saturation.
Alors il ne reste plus qu’à gésir, abasourdi par cette inconfortable situation, incapable de choisir entre pleurer et rire de cette immense confusion, obstacle inexistant que nous avons pourtant pris en plein front, coupable sollicitant lui-même sa punition, par un inénarrable pugilat avec un édredon. Exsangue et épuisé au beau milieu de l’obscurité, il n'y a plus qu’à acter l’absurdité de notre situation : exaspéré dans des draps douillets, aux prises avec notre propre individualité.
Et puis arrive ce que l’on n’osait plus espérer : un silence, un calme comme une douce brise qui s’en vient se poser.
Et puis s’arrête cette emprise cogitative, qui cède la place à un vide apaisé, ni annihilation ni défaite annoncée, mais volutes de fantasmagories entremêlées.
Et puis s’immobilise ce corps surchauffé, soudain attentif aux battements de ce cœur déboussolé.
Rien n’a changé cependant ; pas notre état, pas notre volonté, mais un subtil basculement vers ce à quoi l’on ne savait plus comment accéder. Ce qui était considéré inconvenant s’éparpille dans les nuées ; ce qui était manifestement gênant est oublié ; ce qui défiait l’entendement n’a plus d’objet. La chambre n’est plus ce champ de bataille improvisé, mais reprend sa place de cocon patiemment tissé, accueillante, apaisante, nécessaire pour se ressourcer.
Rien n’a évolué cependant : pas le monde autour, pas la nuit tombée, mais un silence qui enveloppe tout comme une caresse improvisée. Ce qui était bruyant se tait sans discuter ; ce qui était urgent plonge dans les oubliettes du calendrier ; ce qui était inconsistant disparaît pour ne plus revenir nous déranger. Le lit n’est plus cet instrument de torture que l’on imaginait, mais retrouve la quiétude et la douceur qui rassure et amène à se relâcher, bienveillante enveloppe au sein de laquelle se lover.
Rien n’a disjoncté cependant ; pas notre cerveau, pas l’urgence d’exister, mais un ralentissement des maux qui obscurcissaient nos priorités. Ce qui était incessant disparaît sans discuter ; ce qui est prégnant n’arrive plus à se manifester ; ce qui était latent replonge dans les abîmes d’où il a émergé. Le corps n’est plus ce compagnon surexcité, mais notre être tout entier, ce mélange de chair et de pensées, dont la dissonance a tout fait basculer.
Au cœur de la nuit, ne résonne plus que notre souffle régulier, maître et serviteur qui nous donne le droit d’oublier qui l’on est. Et tandis que les étoiles s’agglutinent pour nous regarder rêver, nous réalisons soudain que nous sommes à leur côté.
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