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Photo du rédacteurLaurent Hellot

Anniversaire

Dernière mise à jour : il y a 1 jour


Anniversaire - Laurent Hellot

Ce jour devait être particulier, empli de joie et de cadeaux de tous les côtés ; pourtant, allongée dans sa chambre à coucher, la jeune femme se demande encore pourquoi elle se retrouve seule en cet instant particulier. Alors oui, la fête bat son plein dans les pièces à côté, débordantes de victuailles et d'invités ; la musique résonne un peu trop fort d'ailleurs, traversant les murs, comme pour porter plus loin le son de ce bonheur, donnant l'impression à la jeune femme, dans l'endroit où elle se trouve, de baigner dans un flot de vibrations qui n'est pas en écho avec ses sensations.

Changeant de position, la jeune femme replonge dans ses réflexions, ce nœud de doutes et de questions. Somme toute, elle a accompli exactement ce dont elle avait envie, réunissant tous ses amis, partageant des cadeaux au beau milieu d'eux réunis, à sa place en reine de la soirée, belle, rayonnante, la parfaite image de la femme comblée. Qu'il n'y ait pas d'homme à ses côtés pour lui tenir la main ou la féliciter n'est pas pour elle un sujet. Elle n'a jamais fait du couple sa priorité et elle ne se voit pas changer d'idée pour les prochaines années. Sa vie telle qu'elle est aujourd'hui, autonome et épanouie lui convient et lui renvoie le succès qu'elle a mérité après tout le travail auquel elle s'est dévouée. Cela ne lui a pas empêché de nouer de belles amitiés, ainsi que l'appartement rempli peut en témoigner ; alors, d'où lui vient cette mélancolie dont elle n'arrive pas à se débarrasser ?

S'asseyant sur le lit, la jeune femme essaye de se rassurer ; cette sensation est juste passagère, elle ne peut pas durer, elle n'a aucun sens, au vu de ce qu'elle est en train de traverser. En quoi n'aurait-elle pas le droit à une petite baisse de régime parfois, elle qui a toujours tout fait à la fois ? Quoi que lui renvoie son entourage, eux qui ont enfants, maison et garage, cette idée de se poser n'est pas un sujet, juste une distraction pour s'égarer dans la mauvaise direction et se réveiller à quarante ans passés face à une crise existentielle que rien ne pourra éviter. Au stade où elle en est, elle n'a rien à regretter, les choix qu'elle a faits étant sereins et posés, non pour fuir ou se leurrer face à la réalité. En cette journée, elle se trouve à la parfaite place qu'elle désirait, indépendante, belle et puissante, tout autant de qualificatifs qui font sa fierté.

Quelques rires fusent à ses oreilles, démonstration que sa fête brille d'éclats sans pareil et que, là encore, la jeune femme a des doigts d'or capables d'orchestrer un événement dont elle est la reine incontestée, sans remettre en cause le plaisir que chacun va ressentir à y participer. Elle peut se reconnaître ce don de transformer en succès tout ce qu'elle va toucher, qu'il s'agisse de son business ou de sa vie privée. Les hommes qu'elle a fréquentés le lui ont d'ailleurs bien vite renvoyé, soit jaloux de ce qu'elle avait achevé, soit effrayés qu'elle soit à ce point en capacité de s'émanciper. Le plus surprenant pour elle avait été d'acter que son indépendance pouvait ainsi l'isoler, même si cela ne l'avait pas effrayée. En tant que tel, le couple n'avait jamais été sa priorité, mais bien sa félicité, et elle avait continué à avancer. Dans les invités ce soir, le mélange de partenaires et de célibataires est d'ailleurs assez équilibré, ce qui la conforte dans les décisions qu'elle a posées, même si cela ne répond pas à l'écho qu'elle sent en elle de ne pouvoir déployer ses ailes. Une telle sensation continue de l'intriguer, et même plus, de la déséquilibrer, comme si une faille venait de s'ouvrir sous ses pieds, qu'elle n'avait pas remarquée alors qu'elle avait toujours existé.

S'efforçant de se concentrer et de revenir au centre de ses pensées, la jeune femme ne réussit décidément pas à saisir ce qui devrait pourtant être à sa portée. Ce ne serait qu'une lassitude passagère, elle ne s'y serait pas arrêtée, mais elle sent bien qu'il y a autre chose en train de se jouer, une révélation qu'elle se doit absolument de confronter et, en cette soirée, son esprit n'y a pas accès, alors que son corps est déjà en train de l'explorer ; pour une fois, elle se sent dépassée, dépossédée de ce qui est en train de se jouer. Quelle que soit la manière dont elle essaie de se l'approprier, elle revient immanquablement à l'exact endroit où elle est : chez elle, accompagnée mais esseulée ; et cela la vexe qu'elle soit réduite à vouloir être entourée. En soi, une telle pulsion est de l'ordre de l'émotion, ce qui ne correspond pas à ce qu'elle fait, qui elle est, après avoir traversé et surmonté tous ces obstacles, en une course de fond. Elle n'a besoin de personne, et ne voit pas en quoi cela serait une révélation, ni même une solution.

Lasse de jouer avec ses sentiments et sa raison, la jeune femme se lève du lit et entreprend de marcher en rond, en une sorte de promenade hypnotique, en espérant que de cette répétition sorte quelque chose, quoi que ce soit qui lui permettrait de retourner au salon, légère et non plus en perdition. Quand même, le jour de son anniversaire, se voir ainsi dans cet état lamentable, quelle déception ! Et un pas après l'autre, elle se met à cheminer sans bouger de cette chambre à coucher quand, soudain, elle s'immobilise, médusée. Cela fait combien de temps qu'elle erre dans cette pièce fermée ? Et pas un n'est venu s'inquiéter de ce qu'elle faisait ni comment elle allait ?

Estomaquée par cette conscientisation, la jeune femme peine à reprendre sa respiration, non pas le choc de l'information, mais parce qu'un soudain besoin de prendre l'air s'est imposé sans condition. Ni une ni deux, la voilà aussitôt qui attrape une veste qui traînait là, son sac à main et ses clés, et qui prend la direction de l'entrée. Sur son passage, elle croise bien quelques regards intrigués, mais personne qui ne l'arrête ni se propose de l'accompagner, dans une totale et étrange irréalité. Aussi ne se renonce-t-elle pas à son idée et continue vers la porte qu'elle ouvre sans hésiter, pour se retrouver dehors et sentir un énorme poids s'enlever. Levant la tête, elle aperçoit les étoiles et la Voie Lactée, l'espace et la nuit en totalité, la liberté offerte à qui a envie de l'explorer. Le choix n'est donc plus difficile pour la jeune femme, en réalité et, tout en pianotant sur son téléphone, elle organise ce qui devait se poser, comme une évidence qu'elle aurait trop longtemps ignorée : une destination, un billet d'avion, un hôtel ; tous les cadeaux qu'elle ne s'est pas autorisés. À force de tout planifier, organiser, dans l'énergie de son ambition de progresser, elle en a oublié d'exister, remettant à plus tard le simple fait d'explorer. Elle ne se blâme pas, au contraire, c'est grâce à cela qu'elle peut aujourd'hui se permettre cette échappée.

Tandis qu'elle monte dans le taxi qui vient d'arriver, la jeune femme rédige un message pour ses amis, sa famille, tous les invités. Les premiers mots lui viennent naturellement, en toute simplicité :


«  Merci à tous d'être là et de me rappeler que personne, à part moi, ne peut prendre soin de mes besoins si je ne me donne pas le temps de les faire vibrer. Que ce jour anniversaire soit celui où le plus beau cadeau que je me fais est celui de m'écouter. 


À bientôt, pour se retrouver ».

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